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Quelques réflexions sur l’enseignement musical spécialisé -

1) L’enseignement en face à face n’est pas archaïque mais au contraire parfaitement contemporain des attentes de l’élève du 21ème siècle. A l’heure du coaching, de la prestation personnalisée, du refus des citoyens d’être noyés dans la masse ou d’être traités de façon anonyme, l’enseignement en face à face permet une adaptation optimale à chaque enfant et chaque adulte, propre à développer l’unicité de chacun.

2) L’enseignement de la musique implique un travail sur les émotions. Au travers des oeuvres, le professeur va percevoir les réactions émotionnelles de l’élève générées par la musique et l’amener à en prendre conscience, à les nommer et à les maîtriser. Ce travail permet de développer l’équilibre personnel de l’enfant et lui permettre de mieux vivre avec les autres. L’importance du face à face tombe ici sous le sens : un adolescent, par exemple, aura beaucoup de réticences à exprimer ses émotions face à ses camarades, par pudeur et par peur du ridicule.

3) L’enseignement collectif de la musique ne peut être comparé à celui des autres disciplines artistiques. En effet, il est impossible physiologiquement de faire abstraction du son, qui, lorsqu’il n’est pas ordonné, devient bruit et cacophonie. Un petit danseur qui ne parvient pas à exécuter les pas n’empêchera pas les autres de travailler. Mais un musicien qui n’arrive pas à jouer en harmonie avec les autres rendra l’ensemble inaudible. La pratique collective en musique demande beaucoup d’écoute et un soin particulier, qui impliquent une connaissance personnelle de son instrument. L’enseignement en face à face permet d’isoler son propre son et de créer un rapport à l’instrument conscient et autonome.

4) L’apprentissage sans partition, par mimétisme ou imprégnation, est possible en musique. Il présente cependant beaucoup d’inconvénients : - il est très lent et chronophage - il ne favorise pas un accès autonome au répertoire, qui passe par la capacité à lire les partitions Les expériences d’apprentissage sans partition sont intéressantes, mais elles ne donnent que des résultats limités à une dimension réduite de la pratique musicale. Pour trouver une comparaison, un enfant pourra apprendre par coeur un poème sans savoir lire. Mais en apprenant à lire, il s’ouvrira un monde infini de poèmes… Dans le domaine instrumental, l’enseignement en face à face facilite énormément les pratiques collectives : un violoniste jouera d’autant plus efficacement en musique de chambre ou en orchestre que s’il maîtrise son instrument individuellement. Les expériences El Sistema (Gustavo Dudamel) et Demos (Philharmonie de Paris) sont certes intéressantes, mais il convient d’évaluer la productivité de ces systèmes, qui imposent un nombre d’heures de répétition et d’apprentissage énorme pour un faible volume de répertoire abordé. Par ailleurs, l’autonomie des élèves y reste faible, ce qui impose un coaching dense et permanent. Citons à ce propos l’article du figaro.fr (3 juin 2016) sur l’expérience française Demos : « Il est vite apparu que pour vraiment s'approprier un apprentissage musical, les enfants doivent rester trois ans [dans l’orchestre]. La moitié d'entre eux, à l'issue de cette période, entre au conservatoire. Et ils reviennent pour jouer dans leurs orchestres, afin que les meilleurs entraînent les débutants.» Dans ce sens, Demos vient conforter l’importance de l’enseignement en face à face dans les conservatoires et se présente comme un outil efficace d’initiation à la pratique de la musique classique. A fin de progression, cette initiation se poursuit donc pour moitié des petits musiciens… au conservatoire ! Le système d’enseignement de la musique dite savante ne s’est pas développé pour rien depuis 5 siècles. Il permet une autonomie réelle des élèves et autorise l’abord de musiques complexes avec rapidité et facilité, ce qui permet de s’affranchir du professeur progressivement et de préparer une pratique amateur de qualité.

5) La pratique d’un instrument nécessite une utilisation très spécifique du corps humain. La posture du violoniste, l’indépendance des doigts, l’utilisation de la colonne d’air, pour ne citer que ces points, relève d’une éducation corporelle particulière qui doit être dirigée et contrôlée par le professeur. C’est pourquoi il ne peut se concevoir d’enseignement instrumental sans contact entre le professeur et l’élève. Les professeurs sont habilités à accompagner ces contacts d’une prise en compte de l’intégrité physique et morale des différents élèves, et de s’adapter à l’individualité de chacun. Il peut s’agir de vérifier la mobilité de certaines articulations du bras et de la main, du placement de la tête, de la liberté de la respiration ventrale. On ne reprochera pas à un médecin ou un kinésithérapeute de toucher un patient.

6) Des recherches récentes dans le domaine des neurosciences (Pr Philippe Vigand par exemple) indiquent que l’apprentissage d’un instrument de musique favorise la création de circuits neuronaux particuliers, ainsi qu’une modification structurelle positive du cortex. Or l’acculturation à l’art et notamment à la musique varie beaucoup selon les élèves et notamment des habitudes culturelles de son environnement familial. Le professeur doit donc développer une approche différenciée pour chacun de ses élèves. Le risque d’un enseignement de groupe pour les débutants est de pénaliser les plus lents et ceux qui n’ont pas eu d’accès à la culture à la maison. Donc de favoriser ceux qui le sont déjà… Seul le face à face permet d’apporter, par un enseignement individualisé, une équité face aux inégalités d’accès à la culture.

7) La pyramide des âges au sein des conservatoires ne doit aucunement être interprétée comme un éventuel marqueur d’échec de l’enseignement qui y est dispensé. En effet, la progression naturelle des élèves dans leurs études les amène à aborder des oeuvres de plus en plus longues et complexes qui imposent un travail personnel de plus en plus long. Il est connexe de l’augmentation du travail personnel demandé par l’éducation nationale. Il est donc naturel de voir s’opérer des choix à la fin du collège et durant les années de lycée et du début des études supérieures. Il conviendrait d’ailleurs de concevoir les 3 cycles qui rythment les études au conservatoire (3 à 5 années chacun) comme des objectifs propres. Un élève pourrait bénéficier d’un 1er cycle et le terminer avec succès sans obligatoirement poursuivre en Cycle 2, en raison de l’augmentation de l’investissement en temps que cela impliquerait. L’idée que tout élève qui n’arrive pas en fin de 3ème cycle a subi un échec est erronée et ne reflète pas la réalité et les attentes des élèves.

8) Il appartient à toute hiérarchie qui souhaite initier une réforme profonde du travail de ses salariés de pourvoir à la formation et aux moyens nécessaires à la mise en oeuvre de cette réforme. Les professeurs sont actuellement formés pour dispenser un enseignement en face à face. Leur demander « d’inventer par eux-mêmes » un enseignement collectif de leur instrument, sans les former, est contraire aux principes de management les plus élémentaires, et risque de conduire à des situations dramatiques de mise en échec, assimilables à une forme de harcèlement. Rappelons qu’une des formes du harcèlement au travail consiste à exiger d’un salarié un résultat sans lui donner les moyens d’y parvenir. Aucun dispositif de formation n’est actuellement proposé aux enseignants des conservatoires pour leur permettre de substituer un enseignement collectif au face à face existant.

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